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Amener des jeunes à redevenir acteurs de leur vie : le dispositif Classe Départ de Parcours de l’Art

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Depuis 1994, le Parcours de l’Art, tout nouveau membre du COFEES, investit des lieux patrimoniaux avignonnais pour y présenter la création contemporaine sous différentes formes : peinture, dessins, sculptures, photographies, vidéos, installations, performances… Le festival propose une programmation gratuite, une déambulation libre entre les lieux et les œuvres, avec la volonté de rendre la manifestation accessible au public le plus large possible, de par ses caractéristiques sociodémographiques, mais aussi par son intérêt ou son rapport à l’art.

La mise en œuvre de cette démarche passe par la création de dispositifs de médiation variés. L’un d’entre eux, proposé pendant les éditions 2022 et 2023 du festival, est incarné par une dizaine de jeunes en situation de décrochage scolaire, social ou familial, issus du dispositif Classe Départ.

Pour en savoir plus sur cette démarche, nous avons rencontré Julie Charrier, directrice artistique du festival et responsable pédagogique de “Classe Départ Avignon”, et Inès, membre de la promotion 2023.

“Classe Départ” : agir sur sa transformation sociale par l’art

“Classe Départ” est un dispositif de mobilisation vers l’insertion, dont l’objectif est de proposer à des jeunes en décrochage un processus de résilience par la pratique artistique et la citoyenneté. “C’est comment amener des jeunes à redevenir acteurs de leur vie — de leur rapport au travail, mais aussi de leur rapport à l’indépendance par le biais de pratiques artistiques” explique Julie Charrier.

Portée par la structure L’Envol, fondée en 2015 par le metteur en scène Bruno Lajara et un collectif d’artistes, cette franchise sociale née à Arras s’est essaimée à Béthune, Roubaix, Saint-Quentin-en-Yvelines et Avignon. Sur ce dernier territoire, le dispositif a été porté pendant 2 ans par la Mission Locale Jeunes Grand Avignon et des membres des équipes intermittentes de La Manufacture et de Parcours de l’Art. 

Une Classe Départ, c’est une promotion d’une douzaine de jeunes entre 17 à 25 ans recrutés en service civique pour mener pendant 7 mois des activités de médiation culturelle et de cohésion sociale par l’art.

Inès a intégré sa promotion après avoir été orientée via un PAEJ (Point d’accueil et d’écoute jeunes). “J’ai rejoint Classe Départ après un an de pause dans mes études. J’étais perdue à plein de niveaux, professionnel, mais aussi avec moi-même. Ça a vraiment été une bulle d’air” raconte-t-elle. Participer à ce dispositif a transformé ses rapports sociaux : “On se consacrait à notre positionnement dans la société, à nos interactions avec les autres […] ça m’a permis de renouer un contact, que ce soit avec des jeunes de mon âge ou des formateurs”.

La pratique artistique sert ici comme support au développement de la confiance en soi, la persévérance, la ponctualité, la responsabilité, la cohésion de groupe ou le travail commun, autant de leviers vers l’employabilité. “C’était énorme, pour certains, de se lever [le matin] pour 4 heures d’ateliers par jour. […] Il y a une fragilité des vies qui fait que c’est très dur d’assumer une régularité, même si pour nous, cela nous semble acquis. C’est pour ça que le rapport au travail est aussi difficile” explique Julie.

Redonner accès à la légitimité artistique

Au-delà de cette transformation sociale que permet le dispositif, c’est tout un changement du rapport à l’art qui s’opère. Lorsqu’elle rejoint Classe Départ, Inès pense que l’art n’appartient qu’à certaines sphères sociales, éloignées de la sienne. Cela constitue un obstacle à l’expression de son propre rapport à l’art. “J’aimais bien, mais je n’assumais pas trop” raconte-t-elle.

Faire participer ces jeunes à des ateliers d’écriture, de théâtre, de danse, de photo, de graffiti, permet de changer le regard qu’ils portent sur l’art et sur la légitimité de leur pratique. “Inès écrit des trucs qui sont juste incroyables. C’était vraiment magnifique […] mais aussi très dur pour elle, c’était un secret qui l’encombrait presque. Classe Départ l’a aidée à accepter ça. Elle a posté des choses, elle a rendu publics ses écrits” évoque Julie.

En plus des temps d’ateliers d’expression artistique, le programme de cette Classe Départ prévoyait plusieurs projets publics : des sessions de médiation auprès de jeunes publics et une performance sous forme de bibliothèque vivante dans le cadre de Parcours de l’Art, mais aussi un spectacle d’une heure présenté en novembre 2023 au Théâtre Benoît XII.

Des parcours de médiation pluriels

L’équipe du festival travaille depuis des années la diversité de ses médiations, consciente que parler à des publics très divers suppose de mobiliser des médiateurs qui ne sont pas formés académiquement à cet exercice. “Malgré toutes nos études, on a un rapport très académique, clivant, très impressionnant. On a plein de bénévoles qui, de par leur passion, curiosité, spontanéité, intéressent des spectateurs qui sont au même endroit qu’eux.”

Confier aux jeunes de Classe Départ leur propre dispositif de médiation a permis d’enrichir la proposition du festival à cet endroit, notamment auprès des jeunes publics : le festival accueille plus de 2000 scolaires sur les 8 jours du festival.

“Les enfants ont entre 10 et 12 ans, donc ils se sentent proches [des jeunes de Classe Départ]” explique Julie. “Il y a aussi des codes qui facilitent l’accès à la médiation à plein d’endroits, dans la manière de s’habiller, dans le discours, dans le positionnement corporel, le vocabulaire… Et tout cela, sans jamais déroger à l’exigence ou au respect du travail artistique.” Le succès de ces médiations auprès de ces publics ont même incité des enseignants à demander spécifiquement la reconduction de ces médiations d’une année à l’autre.

L’expérience Classe Départ, ajoute-t-elle, a été une vraie avancée pour la réflexion des équipes de Parcours de l’Art sur leurs médiations. “On a tous à apprendre de tous. […] Si tu laisses affleurer la différence, la diversité, elle est très nourrissante. Parce que c’est très difficile de faire abstraction des choses que tu sais. Tu as du mal à avoir un rapport à l’art qui n’est pas lié au savoir académique.”

Comment pérenniser un projet fragile ?

L’implication des partenaires artistiques, l’enthousiasme des jeunes et les résultats probants — en 5 ans, 70 à 80 % des jeunes ayant expérimenté Classe Départ au niveau national ont retrouvé le chemin de l’autonomie, de la formation ou de l’emploi à l’issue du programme — font de ce dispositif une réussite.

Pour autant, ce type de projet reste fragile. À Avignon, il n’y a pas eu de promotion 2024 faute d’équipes assez structurées pour assumer la charge de travail, économique ou émotionnelle sur le long-terme. “C’est un énorme travail de recherches de financements” raconte Julie. “On a fini par s’y retrouver, mais pendant 1 an et demi, je n’ai pas été payée pour le temps passé à les rechercher.” La (petite) économie de ce projet repose sur des financements venus des collectivités locales, ville et région, mais surtout du ministère du Travail, via la Direction Départementale de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS).

L’investissement demandé par ce projet “qui touche à l’humain, au vivant” est aussi conséquent, comme le rappelle Julie. L’équipe encadrante est elle-même suivie par un superviseur et se réunit régulièrement afin de pouvoir appréhender des situations de vie parfois très dures. “Il faut faire attention et voir jusqu’où on va. En fait, on ne peut pas sauver tout le monde.”

Pour autant, elle comme Inès — qui parle d’une expérience “incroyable” — défendent tout au long de l’entretien la richesse et la nécessité de ce type de programme, pour les jeunes comme pour l’équipe encadrante et celle du festival. “Même si on est plus âgés, plus aguerris, même si on a fait des études en lien avec l’art, [les jeunes] irriguent les choses par ce qu’ils sont et comment ils se positionnent.”

Leur dernier conseil à des personnes qui voudraient se lancer dans ce type de projet ? “Lancez-vous ! Ça fait peur, mais ça vaut le coup.”

Crédit photo © Parcours de l’Art | Classe Départ – Bibliothèque Vivante